1969: Les débuts
Héritier d'un festival de cinéma amateur racheté à la Ville de Rolle cinq ans auparavant pour 10'000 francs, le nouveau festival de Nyon en 1969 cherche encore sa voie en cette première année émaillée entre autres par des problèmes techniques à la nouvelle Aula du Collège de Nyon. Les documentaires dominaient son programme, mais le saut en avant restait à faire pour en faire un événement spécialisé dans le documentaire. Après ce premier festival, j'en faisais le bilan pour le "Journal de Genève" :
Tandis que les drapeaux sont repliés, la correspondance classée aux archives, et les films renvoyés à leurs auteurs, que l'on veuille bien nous permettre, alors que l'heure du bilan approche, de parler du Festival international de cinéma de Nyon. en pensant à son avenir.

Festival secret pour certains, par manque de publicité, festival boudé pour d'autres (et les Nyonnais étaient du nombre) par manque de curiosité, ou tribune pour certains dont les intérêts civiques se croisent étrangement aux intérêts d'un festival de cinéma : peu importe pour cette année, l'essentiel est que Ie festival ait eu lieu et que ceux qui ont pris la peine de s'y déranger ont eu l'occasion d'y voir et d'y entendre quelque chose de « valable ». Des choses ont été dites, une table ronde entière consacrée à l'avenir du festival où l'on aperçut des tètes familières du cinéma suisse : Freddy Buache, Claude Champion, Freddy Landry, Walter Marti, Yves Yersin parmi d'autres. Leur présence garantit-elle l'avenir du festival ? Disons plutôt qu'elle permet de l'entrevoir à la condition du tout remettre en cause. L'heure de l'autosatisfaction est encore loin pour les organisateurs.

Confirmation a été donnée que la formule du festival pourrait devenir, si elle était approfondie, une originalité et répondre ainsi à des besoins réels : festival de courts et de moyens métrages, pour certains limités au 16 mm., présentant hors-compétition des films dits communément de production parallèle, c'est-à-dire ces films que nos distributeurs ignorent, festival où une partie du programme est réservée à la production d'un pays (cette année le cinéma belge), ou à un sujet (pour cette fois l'Extrême-Orient et la contestation estudiantine), enfin discussion et tables rondes en marge des projections : tout cela constitue un ensemble cohérent et bien caractéristique.

En revanche, ce qui n'a pas été dit ou prononcé seulement en filigrane est l'originalité de l'organisation de ce festival. Son comité de direction, élu par une assemblée publique d'amis du festival, est composé exclusivement de personnalités du monde des affaires, de professeurs, en un mot de personnes qui n'ont pour le cinéma que l'intérêt d'un spectateur et qui donnent à ce festival du temps pris à leurs activités habituelles. Si de telles personnes étaient plus nombreuses en Suisse, l'on n'en serait pas à voir un « cinéma national » vivoter en marge de la société, ignoré ou ridiculisé par certains qui ne prennent même pas la peine de voir de quoi ce cinéma-là est fait.

Pourtant, et l'expérience de cette année l'a démontré, cette organisation est à double tranchant : en ayant souligné ses mérites, force nous est d'en constater ses faiblesses. A un certain niveau, l'amateurisme — au bon sens du terme — n'est plus acceptable. Une entreprise aussi dense qu'un festival de

cinéma ne peut être mise sur pied uniquement durant les quelques moments de liberté laissés par une autre activité, ni être portée à une conclusion positive par l'effort généreux de certains, elle nécessite également la participation de spécialistes, et une plus étroite coordination des différents secteurs. La dispersion résultant du manque de responsables, la peur de ne pas plaire à tout le monde, la crainte de qui pourrait se mettre en avant sont significatives d'un groupement plus concerné par des intérêts secondaires et en contradiction aux intérêts d'un festival. Le manque d'une réelle foi en l'essentiel, à savoir en une raison d'être, font que ce festival peut à tout moment se désintégrer ou sombrer dans tel ou tel intérêt particulier : son intégrité est loin d'être assurée. Pourtant, le festival a eu lieu et a prouvé au moins une chose, c'est qu'il doit continuer à exister.


Budget de misère

Peu importe en fait qu'il se fasse des ennemis parce que tel ou tel film est de gauche ou de droite, parce que tel ou tel est insatisfait parce que ses films ne figurent pas au programme ; tant que des gens critiquent, c'est signe que quelque chose de réel se passe, tandis qu'à vouloir satisfaire tout le monde, l'on finit par ne plus satisfaire personne !

Hélas, tout reste conditionné aux moyens financiers à disposition. Or le budget de cette année était un budget de misère. Quand donc comprendra-t-on qu'un festival n'est pas une entreprise, où le bénéfice financier est signe de réussite, et le déficit une condamnation à mort ? La culture, et le cinéma en est, n'est pas une marchandise, mais bien plutôt une nécessité au même titre que les sports. A Nyon, comme ailleurs, des efforts considérables sont faits, à grands frais, pour doter la ville d'équipements sportifs ; la municipalité sortante semble être très fière d'avoir réservé quelques deniers par an aux activités culturelles : il n'y a hélas là pas de quoi être fier, et les 5000 fr. réservés au festival ont bien été classés par certains comme étant une aumône : si ce terme est vexant, il n'est néanmoins guère éloigné de la réalité, car le Festival de Nyon pourrait bien devenir dans quelques années, s'il est correctement géré, ce que le Festival de Locarno est pour cette ville, c'est-à-dire la fierté des Nyonnais. Dans une ville déjà taxée de « ville dortoir » pour une population cherchant sa raison de vivre à Genève ou à Lausanne, voici un effort remarquable de réintégration, en un mot une contribution pour redonner à cette ville un nouveau centre d'intérêt ; que ceux qui à Nyon estiment que le cinéma ne les concerne pas, veuillent bien se demander sérieusement si l'auteur de films est vraiment un personnage tellement différent et folklorique, qui n'a plus aucune relation avec tout un chacun. Le cinéaste est un d'entre nous qui travaille pour nous parler, il est une partie intégrante de notre société. Pour Nyon le Festival 1970 commence aujourd'hui.

Moritz de Hadeln
Réflexions en marge du Festival de Nyon
Journal de Genève, 21 novembre 1969 (page 17)