Il était une fois...
40ème anniversaire du Festival International du Film Documentaire à Nyon
C'est ensemble que Moritz et Erika ont fondé ce festival en 1969 sur les bases d'un « Festival de Cinéma Amateur et Indépendant » créé à Rolle en 1963, puis transféré à Nyon l'année suivante. Moritz a dirigé ce festival jusqu'à sa nomination à la tête du Festival de Berlin en 1979. Erika lui succéda et dirigea la manifestation jusqu'en 1993. Le 25 avril 2009, dans le cadre du 15 ème Festival « Visions du Réel »,  Moritz et Erika de Hadeln furent invités lors de la soirée d'anniversaire à la Salle Communale à se souvenir.

Moritz de Hadeln: « Dans son livre « La vie passera comme un rêve » (1) ,Gilles Jacob, président du Festival de Cannes , écrit « Un festival , ce sont des films, plus des drames. Des drames qui se révéleront n'être en définitive que de minuscules péripéties ».

Cela était sans doute vrai pour les drames qui ont parsemé nos 25 ans à la tête de ce festival: des budget insuffisants, des déficits chroniques, des conflits voire des polémiques, des accidents de voiture, des films sélectionnés puis refusés par la censure de pays frileux...  Mais ce sont heureusement des drames que l'on oublie.

Les vrais drames étaient plus souvent à l'écran, des morts inutiles pour une guerre au Vietnam, des cris de détresse de peuples oubliés ou abandonnés et ces images de misère ou de pauvreté ici et là. Ces drames-là, ne sont pas des péripéties.  Ils étaient du quotidien et le sont encore aujourd'hui.

Ce festival, né en 1969 sur les cendres d'un autre festival voué au cinéma amateur,  trouve ses racines lointaines dans un festival organisé à Florence en Italie par la faculté de sociologie de l'Université de Perouse:  le « Festival des Peuples ».(2) C'était, dans les année 50 et 60, la Mecque du cinéma documentaire et le lieu où est né le « Cinéma Vérité ». C'est là que fut trouvé le vrai modèle de ce qui devait être réalisé à Nyon dès 1973, après quelques années de tâtonnement.

Tout le monde le sait: je viens de l'école zurichoise de Walter Marti et de Reni Mertens, de celle de l'opérateur de génie Ernest Artaria, mais aussi de celle de Freddy Buache qui me projetait des films dans la salle du « Juge de paix » à l'ombre de la cathédrale de Lausanne.(3)

En 1963, un de mes films (4) avait pour introduction cette phrase de Mao-Tsétoung (ou était-ce de Confucius?) « La réalité n'est jamais saisissable que dans les contradictions de sa complexité ». Cette maxime est toujours restée mon guide. Elle est une réponse à ceux qui croyaient que le cinéma pouvait être vérité, que l'intervention de l'auteur et sa subjectivité pouvaient être ignorées. 

Nous vivions avec mai 68 une époque d'illusions, l'illusion que le cinéma pouvait changer le monde. Cela pouvait être vrai, mais de tous les slogans, sans doute celui de « l'imagination au pouvoir » des étudiants de la Sorbonne est celui qui laissa en nous le plus de traces.

Ce n'est pas sans raisons que dès 1974 nous organisions à Nyon un colloque sur le thème « Éthique, Esthétique et Dramaturgie du Documentaire » (5). Nous disions dès lors qu'il ne peut y avoir de message ou de contenu sans la forme. Le cinéma est avant tout un Art.  Et lors de nos sélections, nous ne l'avons jamais oublié. En cela, quelque soit la diversité des sensibilités, entre le « Festival du Film Documentaire » d'alors et les « Visions du Réel » d'aujourd'hui (6), il n'y a pas de rupture, mais bel et bien la continuité...

J'entends dire que cette époque est si différente de celle de la guerre froide d'alors, que le monde aujourd'hui se cherche et avec lui le cinéma du réel. Cela m'étonne. Nous vivons une époque des plus périlleuses: celle d'une crise économique sans précèdent, la montée du chômage et les drames qu'il entraîne, l'extrémisme de droite ou de gauche, l'incompréhension croissante entre le monde Islamique et le notre, le terrorisme poussé par le fanatisme et la misère, la fin des illusions nationales, au profit d'une globalisation de plus en plus évidente, une planète qui s'abime irrémédiablement...  Que de sujets et que de matière pour l'auteur de documentaire. Ce n'est pas le moment d'être aveugle ou de rêver sur son nombril , et ce festival le montre.

Ce qui, par contre, à peut être changé depuis l'invention de la camera Eclair et du Nagra - qui permettaient pour la première fois de filmer synchrone, c'est notre qualité du regard.

On a beaucoup parlé du nombre important de films en provenance des pays socialistes présentés à Nyon. A l'époque nous savions les décoder pour comprendre, malgré une censure omniprésente, le message caché qu'ils tentaient de nous transmettre et qui se résumait souvent en ce simple mot qui sonnait comme «Liberté!».  Aujourd'hui nous devons réapprendre a regarder, plutôt que de consommer, car autrement nous allons perdre la clef de notre propre liberté.

Je dois personnellement beaucoup à ce festival. Qui aurait cru en ce lointain 1969 que diriger un festival à Nyon avec un budget à l'époque de 30'000 francs, que cela me porterait à Locarno, puis à Berlin et enfin à Venise. Merci à Nyon, et merci à tous ceux ici et ailleurs – créateurs ou collaborateurs, qui ont participé à ce parcours unique. ..

Erika de Hadeln:  Lorsque nous avions 28 ans, en 1969, nous étions pleins d'enthousiasme,  sans trop d'expérience en ce qui concerne la gestion d'un festival. A Locarno, deux ans plus tard, c'était un peu pareil. A quarante ans - Berlin - toujours beaucoup d'enthousiasme et un peu plus d'expérience. A un peu plus de cinquante ans, à Nyon en 1993, toujours autant d'enthousiasme, bien de l'expérience et un sens acquis des réalités...

… je tiens ici à exprimer quelques remerciements: d'abord à une personnalité que peu de vous connaissent encore:  Michel Sandoz. Il fut à l'époque président de l'ADIN (L'Association des Intérêts de Nyon) et, avocat, a aidé à formuler les statuts du Festival et de l'association avec Locarno ainsi que le recours mémorable contre une décision aussi - sinon moins -  mémorable de Berne en matière de subvention. Son intervention nous valut en 1970 une subvention fédérale de Fr. 5'000.(7) Mais Me Sandoz nous a surtout donné l'exemple d'un engagement actif pour la communauté, d'une disponibilité sans bornes pour une cause, ne ménageant ni son temps ni ses moyens.

Mes remerciements - émus puis qu'ils ne sont plus parmi nous pour vivre ce moment - vont aux trois présidents du Festival qui ont forgé son destin: par leur engagement, leur caractère franc et  honnête, leur confiance en nous et notre travail. Ils ont aidé le Festival à survivre, à contourner maints écueils. Sans eux "Visions du Réel" n'existerait pas. Je rends hommage à Bernard Glasson, Maurice Ruey et Armand Forel.

On nous a souvent attesté que nous savions nous entourer d'excellents collaborateurs. Trop nombreux pour les nommer, mais en pensant à tous, je remercie chaleureusement Nicole Favre, fidèle collaboratrice de longue date et aujourd'hui mémoire vivante du Festival.

Freddy Buache nous a dit un jour: "Un festival de cinéma, c'est montrer des films qu'on aime à des gens qu'on aime." Les films que nous avons montrés, nous les avons tous aimés ainsi que les gens, à savoir le public, bien entendu. Il y a quelques années, à la caisse d'un magasin, un jeune monsieur m'adresse la parole: « Vous ne vous souvenez peut-être pas de moi, mais moi, je me rappellerai toujours: C'était il y a bien des années, à l'Aula du Collège: je n'avais pas encore 16 ans mais voulais absolument voir un film programmé en soirée. Alors vous m'avez pris par la main et m'avez fait passer les contrôles. »

Et pour terminer, j'aimerais citer Armand Forel: " Si les documents, les films d'enquête ou documentaires peuvent aider l'humanité à ne pas recommencer les folies fratricides de ce siècle et peuvent les pousser à plus d'humanisme, de fraternité sur cette terre divisée en quart monde, en tiers monde et en monde de nantis, je ne regretterai jamais d'y avoir participé."(8)


Nyon, 25 avril 2009


L'histoire de ces 25 premières années à été publiée dans deux livres rédigés par Moritz de Hadeln: « C'est du Cinéma » en 1988 et « L'insupportable vérité » en 1993 , tous deux publiés par le Festival.

(1) « La vie passera comme un rêve » ,Gilles Jacob. Ed. Robert Laffont 2009 – ISBN 978-2-221-08739-8

(2) http://www.festivaldeipopoli.org/

(3) Aujourd'hui à Montbenon, à ces débuts la Cinémathèque suisse était logée dans un bâtiment vétuste aux pieds de la Cathédrale de Lausanne. Elle pouvait utiliser pour des projections la salle d'audience du « juge de paix », lorsque cette salle n'était pas utilisée.

(4) « Le Pèlé » produit par Teleproduction à Zurich, cf. Walter Marti / Reni Merthens: "Le Pèlé" http://www.langjahr-film.ch/di_en.htm

(5) Au colloque « Éthique, Esthétique et Dramaturgie du Documentaire » avait participé parmi d'autres les cinéastes  Erwin Leiser, Henri Storck, Basil Wright, Jersy Bossak,  Marion Michelle, Georges Dufaux et Thierry Michel ainsi que les critiques Marcel Martin et Martin Schaub.

(6) http://www.visionsdureel.ch/

(7) Dès 1971, avec l'association entre les festivals de Nyon et de Locarno dans la cadre de la « Société Suisse des Festivals Internationaux de Cinéma » la Confédération subventionnera cet organisme chargé des sélections, programmations et relations de presse des deux festivals, avec une subvention de quelque 120'000 francs.

(8) Introduction au livre « 20e Festival International du Film Documentaire Nyon, Suisse "C'est du Cinéma" », Moritz de Hadeln, 196 pages, Ed. Nyon Film Festival, 1988. ISBN 2-88346-006-X.

 
 
Images du festival:: 1. Joris Ivens, Moritz de Hadeln, Marianne Szemes, Basil Wright (1971),   2. Ronald Trisch, Gerrit van der Molen, Moritz de Hadeln à la « Short Film Conference » (1973)  3. Michel Sandoz, Erika de Hadeln, Maurice Ruey (1972)    4. Tineke van der Vaal, Hans-Joachim Schlegel, Henri Storck, Erika de Hadeln, Jan de Vaal (1987)    5. Freddy Buache, Erika de Hadeln, Jerzy Bossak (1988)    6. Madeleine von Holzen, Bernard Glasson (1988)   7. Moritz de Hadeln, Armand Forel, Erika de Hadeln (1992)    8. Le Roi Michel de Roumanie, la Reine Anne avec la délégation roumaine (1990)   9. Erika de Hadeln et Jean-Jacques Lagrange (1983)   10. Uwe Künzel, Wilhelm Roth, Hans M. Eichenlaub, Manfred Salzgeber (1983)   11. Walter Marti, Reni Mertens, Erika de Hadeln, Jean-Jacques Lagrange et le jury (1985)