Alexandra de Hadeln - Balaceano (1911-1977)
Ébauche d’une biographie (3)
1950-1955
A Florence la vie s’organise, l’appartement s’agrandit alors que le couple passe du statut de sous-locataire à celui de locataire. La priorité devient celle de produire. Harry se met à colorier en masse les estampes et à faire la cuisine, tandis qu’Alexandra prépare les expéditions des rouleaux de gravures vers les clients aux États-Unis. Leur travail leur demande de fréquents déplacements vers Paris pour rendre visite aux graveurs et imprimeurs et trouver de nouveaux sujets à reproduire. Une fois, ils en profitent pour faire une escapade à La Rochelle, l’occasion de réaliser plusieurs aquarelles.

Renonçant à sculpter, faute de place mais aussi suite aux coûts élevés des matériaux, Alexandra se concentre sur la peinture. Elle peint au salon au pinceau mais aussi au couteau, utilise une paire de jumelles à l’envers pour s’éloigner de son travail pour mieux le juger. La famille, si elle est présente, est mise à contribution et le salon devient un rassemblement de critiques d’art improvisés. Le début des années cinquante sont celles de l’expérimentation de nouvelles techniques. Une presse à lithographie d’occasion est installée dans l’appartement mais finalement ne servira peu.
Alexandra fait d’autres expériences, notamment avec des papiers chimiques de transfert et explore les possibilités offertes par le spray d’huile sur des plaques de verre dépoli. De ces expériences en elles-mêmes enrichissantes, il reste quelques exemples mais le but recherché de reproduire des œuvres à des fins commerciales échoue finalement faute d’en maîtriser suffisamment les techniques. Il n’en est pas de même d’une eau-forte des « Jardins des Tuileries » produite à la même époque et gravée à Paris sur trois plaques de cuivre pour les couleurs, qui connaîtra un franc succès commercial.

Viareggio et sa Pineta son des lieux privilégiés pour de brèves vacances après que l’appartement de la mère d’Alexandra à Cannes dut être vendu. Puis Harry se passionne de pêche et c’est la découverte des paysages de Toscane jusqu’aux sources de l’Arno. Durant ces années Alexandra participera à diverses expositions locales et prendra part en 1955 au “Concours international de peintres sur « l'Arno »” où près de 200 peintres amateurs et professionnels ont une journée pour produire une œuvre ayant pour thème le fleuve. Son œuvre sera primée d’une mention spéciale.

1957
Finalement elle se présentera aux Florentins avec une grande exposition à la “Galleria Spinetti” où elle fait ressurgir ses sculptures d’avant-guerre et présente de nombreux tableaux de Florence, de la Toscane, de scènes champêtres, de chevaux et - découverte récente - des scènes du cirque Togni, exposition qui attire l’attention de la critique tout en la déroutant par sa diversité.

Le critique d’art du journal “La Nazione” écrira “«II suffit de regarder autour de soi pour trouver l'inspiration » dit Mme de Hadeln, mais sans doute le secret n'est pas aussi simple et simpliste que ne voudrait le faire croire le peintre en souriant".

La même année elle participe à la “IIIa Rassegna del disegno contemporaneo” en y exposant quelques aquarelles. Dès cette époque elle se bat aussi sur un autre front, celui de sa mère, sa sœur et son fils, lesquels réfugiés à Nyon en Suisse après avoir tout perdu, nécessitent son aide.
Et puis son fils qui en classe terminale du baccalauréat aurait découvert - sujet de classe - Karl Marx et semble pencher trop à gauche... et devient un sujet de prédilection des conversations lors des rencontres avec les amis.

Entre-temps, à la fin des années 50 elle caresse l’idée d’un livre illustré sur les cafés de Paris. Elle profitera de ses fréquents voyages pour réaliser plusieurs aquarelles et une huile au “Flore”, au “Deux Magots”, au “Procope”, au “Café de la Régence”... Les textes devaient être écrits par sa cousine Annie Caranfil, laquelle après que son mari ait demandé l’asile politique en France en 1948, s’était reconvertie un temps en guide pour des groupes de touristes. C’était la belle époque de l’existentialisme et les cafés comme les boites étaient au centre d’une vie passionnante. Hélas, faute d’un éditeur ou d’argent, le projet dut être abandonné.
1965-1968
Alexandra expose à nouveau à Florence à la “Galleria Santa Croce” (1966). Entre-temps elle reprend pour la première fois depuis la Guerre la sculpture. Elle réalise un buste de son fils avec une caméra de cinéma entre ses mains, ce dernier étant devenu réalisateur de documentaires et s’apprêtant à se marier. Le 11 novembre 1966 elle est aux premières loges lorsque l’Arno inonde la ville. En vain, cette nuit-là, observant de sa fenêtre l’eau du fleuve qui montait inexorablement, elle téléphonera aux pompiers de la ville pour les avertir du désastre imminent. Pendant trois jours le couple restera isolé, l’eau étant montée à près de deux mètres à l’entrée du Palais Guicciardini où ils logeaient. Après le désastre, l’armée installera des projecteurs pour éclairer les rivages, ce qui lui inspirera une toile. Toujours cette fascination de la lumière, que ce soit celle d’un monument éclairé de nuit, sous la tente d’un cirque ou ici produite par un phare antiaérien dirigé à raz des maisons le long d’un Lungarno.

Peu à peu la vie reprend son cours normal. Dès septembre 1967 elle participe à l’exposition collective “IIIème Biennale de Peinture” à Loudon avant d’entreprendre une grande exposition à la “Galerie du Zodiac” à Genève en mars 1968, où le thème du cirque domine les œuvres exposées.

Puis elle se lance dans la production d’une série d’aquarelles humoristiques ayant pour thème des clochards sur une plage idyllique dont les boutades sont souvent inspirées par son mari qui se moque du verbiage de certains intellectuels italiens de l’époque - au point d’en faire un pastiche qui sera utilisé plus tard pour introduire une exposition. En parallèle elle entre dans un monde mythique peuplé de centaures plus ou moins puisé dans un univers mythologie quelque peu romancé. En ces temps où les brigades rouges sévissent en Italie et où Florence est plongée la nuit dans le noir par économie d’électricité, son message est que la vie est faite d’espérance et doit au contraire “être joyeuse”.

En 1971 sa mère, Marguerite Balaceano meurt à la Lignière, près de Nyon, après une longue vie mouvementée entourée de l’affection des siens. Ayant renoncé sa vie durant à solliciter une autre nationalité que la sienne, elle n’aura cessé de rêver d’un retour hypothétique en Roumanie et des temps où l’argent du pétrole coulait à flots, des souvenirs qu’elle confia à des cahiers qui lui ont survécu. Mère et fille auront peu avant sa mort l’occasion de retrouver la sérénité dans leurs relations souvent orageuses.

1972, 29 avril
Durant un bref séjour à Nyon un soir après une balade en ville le drame frappe brutalement. Harry est soudainement pris d’atroces douleurs à l’épaule, est amené à l’hôpital de Nyon et meurt en moins de quatre heures. Totalement désemparée, Alexandra est sur le point de perdre la raison. Elle accuse les médecins de n’avoir pas fait le nécessaire pour le sauver, voudra même leur intenter un procès que son fils refusera de seconder, attitude qui finira par creuser un fossé profond entre mère et fils qui restera jusqu’au bout les divisant l’un de l’autre. Les obsèques de Harry seront célébrées à la Cathédrale orthodoxe russe de Genève, là ou le couple s’était marié près de 40 ans plus tôt, puis il sera enterré au petit cimetière de Genolier - près duquel il rêvait de construire un jour une villa.
Comme le veut une vieille tradition roumaine, Harry sera enterré entre autre avec, entre ses mains, les clefs de son automobile, une Lancia. Alexandra ne cessera de répéter que sa vie est ainsi entre les mains de Dieu “et qu’il décidera du moment de la rappeler à Lui”.

Du drame de cette séparation naîtra une nouvelle Alexandra qui se lance à corps perdu dans la peinture et reprendra ses activités de sculpteur. S’ouvre alors une des époques les plus productives de sa carrière d’artiste, comme si elle voulait rattraper le temps perdu.

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